L’erreur de Geoff Molson

Jean-Charles Lajoie ne pouvait faire une meilleure analyse des performances des Canadiens de Montréal depuis la pandémie de COVID-19. Après l’avoir visionnée et écoutée en boucle, et après avoir vu des gens sur Facebook se demander ce que devrait faire non pas Kent Hughes, mais Geoff Molson, le propriétaire et gouverneur, pour donner un électrochoc à l’équipe qui est complètement amorphe, ça m’a fait réfléchir.

Geoff Molson, lors du tournoi de golf précédant la saison 2018-2019. Source: capture HabsTV

À voir les Canadiens retomber à la même case qu’au début de la saison 2021-2022 suivant une finale de la Coupe Stanley qui a fait rêver et saliver le Québec au complet en temps de pandémie de COVID-19, j’ose donc poser la question :

Geoff Molson a-t-il commis une erreur en congédiant Marc Bergevin à la fin de novembre 2021, après avoir décidé préalablement de ne pas renouveler son contrat à titre de vice-président des opérations hockey et directeur général?

Le directeur général Marc Bergevin, au bilan de la saison 2020-2021 (9 juillet 2021). Source: capture Zoom.

Ma réponse : oui, et c’est même une très grave erreur de la part de M. Molson, car au lieu de le dégommer en novembre 2021, il aurait dû profiter des jours euphorisants suivant la finale de la Coupe Stanley pour lui donner une promotion à titre de PRÉSIDENT des opérations hockey, poste dans lequel… je vais le dire franchement, il est incroyablement incompétent et surtout pas à sa place, alors que l’année suivante Joe Sakic a hérité de ce poste après que l’Avalanche ait gagné sa 3e Coupe Stanley.

Pour vous donner une idée de ce que je pense de la « mauvaise chaise » qu’occupe actuellement M. Molson comme président hockey : si on compare le CH aux Golden Knights de Las Vegas, Geoff Molson est… Bill Foley! Qui est Bill Foley? C’est le propriétaire de l’équipe. Et M. Foley ne s’occupe pas du hockey, le président des opérations hockey s’appelle George McPhee, qui était auparavant directeur général de l’équipe. Si on pense aux Maple Leafs de Toronto, M. Molson a pour vis-à-vis Larry Tanenbaum, qui est président du conseil d’administration de MLSE, et non président des opérations hockey, poste occupé par Brendan Shanahan. De la même manière, si on s’attarde à l’administration des Penguins de Pittsburgh, Geoff Molson a les yeux devant le conseil d’administration de Fenway Sports Group ainsi que Mario Lemieux, qui est propriétaire minoritaire de l’équipe qu’il a menée deux fois à la Coupe Stanley, alors que le président des opérations hockey se nomme depuis peu Kyle Dubas.

En revanche, avec une telle promotion, Marc Bergevin, qui a joué la game, qui a de l’expérience en gestion et qui a réussi à bâtir une équipe capable de faire des dommages en séries éliminatoires, serait au même niveau hiérarchique que MM. McPhee, Dubas, Shanahan et Sakic contrairement à son boss Geoff Molson, et n’ayant alors plus le nez dans les opérations quotidiennes les plus stressantes, aurait été manifestement soulagé d’un énorme poids, nous aurions eu le meilleur des deux mondes parce qu’il assurerait une bonne relève avec un nouveau directeur général tout en restant présent dans l’organisation, et ç’aurait été une récompense bien mérité pour son travail réalisé depuis l’année 2012.

Plusieurs personnes, dont l’ancien directeur Serge Savard, ne cessent de le critiquer et de railler ses deux « plans » qui n’ont pas marché. Et pourtant…

…et pourtant, je dirais que c’est tout le contraire. Dès son entrée en fonction en 2012, je n’ai pas beaucoup de souvenirs de ce qu’il a fait exactement pour sortir les Canadiens du marasme, mais Marc Bergevin a tout de même bâti une équipe qui s’est rendue en finale de l’Association de l’Est en mai 2014. Les gars ont été très près de la grande finale, mais se sont inclinés en 6 matchs, après que leur gardien étoile Carey Price soit entré en violente collision avec Chris Kreider lors du match 1, le blessant assez sévèrement pour qu’il rate le reste de cette demi-finale. Ils n’ont pas gagné la Coupe, ni atteint la finale, mais ils se sont rendus pour une rare fois depuis longtemps dans le carré d’as. C’est même mieux que les autres directeurs généraux (Réjean Houle, Pierre Gauthier, André Savard et Bob Gainey), qui ne se sont jamais rendus aussi loin en séries… eux! Mais il faut croire que pour les Savard de ce monde, ce n’était pas assez…

Et Bergevin a présenté à la haute direction un second plan en 2018, un plan très ambitieux mais certainement mieux adapté au marché québécois – et à la fan base très exigeante des Canadiens de Montréal, qui est à la veille de surpasser celle des Maple Leafs si ça continue comme ça! – qu’une reconstruction complète, comme on l’a vu il y a plus de trente ans chez les Nordiques de Québec ou comme on le voit à l’heure actuelle avec les Sabres, les Sénateurs, les Red Wings et vraisemblablement les Predators de Nashville, qui ont un début de saison exécrable malgré l’acquisition de Steven Stamkos et de Jonathan Marchessault.

Ce plan est hybride, car en plus d’aligner des joueurs tant d’expérience que des jeunes sur la glace du Centre Bell, la direction amassait le plus de choix de repêchage possible pour se refaire un bassin de jeunes joueurs qui prendront éventuellement le relais. Le principal avantage était qu’il y avait une équipe potable sur la glace alors que les espoirs repêchés pouvaient se développer en paix dans leur ligue junior canadienne, à leur université ou dans leur ligue en Europe.

Ce qui s’est passé : Marc Bergevin n’a pas renouvelé le contrat de deux des trois entraîneurs-adjoints (Dan Caron et Jean-Jacques Daigneault), pour les remplacer par Dominique Ducharme – alors la grande vedette de Hockey Canada avec la médaille d’or gagnée plus tôt en janvier avec Équipe Canada junior… et séjà sollicité par quelques autres équipes dont Washington, qui devait l’envoyer diriger les célèbres Bears de Hershey dans la Ligue américaine! – et Luke Richardson. Il a échangé le capitaine Max Pacioretty aux Golden Knights de Las Vegas en retour du jeune Nick Suzuki et du moins jeune Tomas Tatar, le premier ne faisant le club qu’après le camp de 2019 et le second… déjà prêt à jouer! Il a donné le titre de capitaine à Shea Weber, acquis en 2016 contre P.K. Subban – très bon échange, à mon avis. Et par la suite, il a repêché au premier rang Jesperi Kotkaniemi en 2018 et Cole Caufield en 2019. Sa philosophie est simple : si on ne cumule que des choix de repêchage et qu’on n’aligne pas de joueurs expérimentés en attendant que ces jeunes arrivent, l’environnement de travail ne sera pas adéquat et l’équipe ne sera pas compétitive… exactement ce que nous voyons en ce moment avec seulement 4 victoires, 9 défaites en temps régulier et 2 défaites en bris d’égalité!

Ce plan nommé « réinitialisation » (reset en anglais) a permis à l’équipe, en mars 2020, d’être dans le dernier rang donnant droit au tour qualificatif des séries, qui ont pu débuter à la fin de l’été à la suite d’une entente signée avec l’Association des joueurs de la LNH afin de pouvoir enfin compléter cette saison 2019-2020, interrompue le 12 mars 2020 par la COVID-19. En effet, les Canadiens ont pu participer à la ronde qualificative pour tenter d’accéder aux séries, et ils ont battu les Penguins pour y parvenir. L’équipe, privée en cours de route de son entraîneur-chef Claude Julien en raison d’un infarctus, s’est quand même battue, mais a dû baisser pavillon au 6e match du premier tour éliminatoire. Mais bon, on n’a pas raté les séries.

Cela a mis M. Bergevin dans une position plus qu’intéressante pour la saison 2020-2021, qui s’est déroulée durant les vagues 2 et 3 de la COVID-19 et qui s’est amorcée alors que les premier vaccins arrivaient au Canada. Il a donc acquis Jake Allen, Tyler Toffoli, Josh Anderson, Corey Perry, Joel Edmundson et Mikael Frolik avant le camp d’entraînement de janvier 2021, et en cours de route il a mis la main sur Eric Staal, Erik Gustafsson et Jon Merrill à la date limite des transactions… pour former une équipe prête à faire les séries. Mais l’équipe a connu des difficultés, causant le départ de Claude Julien et la promotion de Dominique Ducharme au poste d’entraîneur-chef, et fut contrainte de stopper ses activités en mars 2021 parce que Joel Armia a contracté la COVID-19, faisant en sorte que la fin de sa saison régulière a été infernale : 25 matchs en 43 jours! Malgré tout, l’équipe s’est qualifiée à la toute fin aux séries éliminatoires, occupant la 4e position de la Division Nord, toute canadienne.

L’entraîneur-chef Dominique Ducharme, au camp d’entraînement de la saison 2021-2022. Source: GETTY Images.

Je désire vous rappeler que les Canadiens ont dû effectuer beaucoup de voyages à travers le Canada, sur 4 fuseaux horaires, avec pour résultats moins de séances d’entraînement. Et qui était l’adversaire des Canadiens en ronde 1? Les Maple Leafs de Toronto, que tous croyaient être le favori pour accéder à la demi-finale dans l’Association… Ouest! Eh oui, la division Nord a été déménagée pour cette année dans l’Ouest afin de permettre de répartir le plus d’équipes américaines géographiquement à l’Est. Les Canadiens se sont retrouvés en mauvaise posture après les 4 premiers matchs, avec un déficit de 1-3. Dominique Ducharme, sans doute sous la pression de son patron, a rencontré les vétérans de l’équipe pour les motiver à continuer, ce sont eux qui se sont levés dans le vestiaire, et on connaît la suite. Remontée complétée en 7 matchs, ce sont les Canadiens qui ont remporté le 1er tour et ensuite battu les Jets de Winnipeg pour accéder, eux, au carré d’as!

Et pour poursuivre cette ascension vertigineuse au grand bonheur des Québécois, le soir de la Saint-Jean-Baptiste sous une superbe pleine lune, Montréal battait les Golden Knights de Las Vegas pour atteindre la grande finale pour la première fois depuis… 1993. Malheureusement, ils ont perdu la Coupe, mais personne n’aurait cru, après un premier Noël gâché par le coronavirus et les mesures sanitaires imposées, que la formation se rendrait aussi loin. Mais encore là, il semble que les Serge Savard de ce monde ne soient pas plus satisfaits, puisque Marc Bergevin a continué d’essuyer les critiques même après son renvoi en novembre 2021.

OK, Bergevin avait des défauts, il avait des tatouages plein les bras, il a comme tous les autres son historique de mauvais échanges et de mauvais contrats… mais quel DG ne fait pas d’erreur dans cette ligue où les impairs ne pardonnent pas? Mais il avait le Québec tatoué sur le cœur, et il a toujours été sensible à la réalité du Québec… contrairement à Molson, qui visiblement se fiche du monde tant que l’argent rentre. Désolée, mais oubliez la Coupe Stanley tant que ça reste un country club.

… parce que c’est un country club. Après presque trois ans, je sens que les nominations de Martin St-Louis comme entraîneur-chef (malgré un cruel manque d’expérience pertinente en coaching) et Vincent Lecavalier comme conseiller spécial de K. Hughes sont davantage des embauches de connivence, et non pour leur CV. Et jusqu’à un certain point, pareil pour Kent Hughes. Sont-ils vraiment en mode reconstruction? Veulent-ils que l’équipe gagne sa 25e Coupe? Ça ne paraît pas.

Je crois donc que Bergevin aurait sûrement appelé un Mathieu Darche ou un Julien Brisebois (il a vu son contrat être renouvelé durant l’été 2021 comme DG du Lightning) pour prendre sa relève, et ç’aurait été… un tantinet différent.

J’irais même plus loin : Marc n’aurait jamais amorcé une reconstruction complète, mais aurait probablement poursuivi son approche mixte. Qui sait, peut-être aurait-il pu acquérir un autre gardien pour compenser pour l’absence de Carey Price ou boucher les trous, ce qui aurait limité les dégâts. Je doute même que les Canadiens auraient fini au 32e rang, même si la perte de Shea Weber et de Carey Price a fait très mal. Donc, erreur grave de M. Molson, et ça pourrait lui coûter cher si l’équipe tourne en rond plusieurs années encore.

C’est mon opinion. Mais à l’heure actuelle, à voir aussi peu d’engagement de la part des joueurs et cela peu importe l’âge, à voir l’absence totale de système défensif efficace ce qui expose trop les gardiens de but, et à voir des manques tant à l’attaque qu’en défense, et à voir la série de défaites consécutives se rendre à 6 après 14 matchs, je dirais que la reconstruction s’en va droit dans le mur, au point de craindre qu’il faille recommencer à zéro, si rien n’est fait rapidement… avec de nouveaux dirigeants.

Alors que je sais que plusieurs sont repartis dans le narratif du « tanking » pour espérer encore une fois repêcher dans les 5 premiers l’été prochain (cela me soûle!), je sens que la plupart des partisans des Canadiens vont trouver le temps long, et le temps des Fêtes plate, si Kent Hughes ne trouve pas de solution. (Ou ne se fait pas montrer la sortie.)

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