J’en ai assez de me faire dire par des partisans des Canadiens, qui continuent de boire le Kool-Aid malgré les déboires de l’équipe qu’on peut pratiquement considérer éliminée du grand tournoi printanier en ce jour du Souvenir, que la reconstruction a débuté en février 2022 avec l’arrivée de Jeff Gorton, Kent Hughes et Martin St-Louis. Éliminée en ce jour du Souvenir, alors que la direction avait promis que les gars seraient toujours dans le mix en mars prochain!
Les faits sont pourtant implacables, s’il est une reconstruction ou tout autre forme de renouvellement des forces pour assurer la pérennité du produit offert sur la glace du Centre Bell à prix d’or, ça ne remonte pas à février 2022. En fait, le processus date du printemps 2018… donc il y a 6 ans!
Cette année-là, les Canadiens ratent les séries… encore une fois, terminant au 14e rang de l’Association Est et au 6e rang de la Division Atlantique. Le directeur général Marc Bergevin, qui était en place depuis 2012 et connaissait parfaitement le marché québécois, n’osait pas entreprendre une reconstruction complète ou classique, c’est-à-dire tout mettre à terre et recommencer. Sachant que le public – tout comme les actionnaires du club! – ne voudrait certainement pas vivre encore sept ans de vaches maigres au minimum (si on se fie à la durée de la reconstruction vécue par les partisans des Nordiques), il a adapté le tout afin de s’assurer que le Centre Bell ne se vide pas, et que les commentateurs ne réclament pas sa tête.
Il a donc créé ce que tous appellent couramment une réinitialisation (reset en anglais).
- Principes :
- Maintenir une équipe acceptable sur la glace tout en renouvelant la banque de repêchage et en assurant la relève en montant une banque de jeunes espoirs pour le futur
- S’assurer que les jeunes qui s’intègrent à la formation bénéficient de l’aide de vétérans et d’autres joueurs plus âgés pour bien s’intégrer dans un environnement professionnel et se développer dans le bon sens
- Ce que ce plan n’est pas :
- Échanger tout ce qui a de l’âge, racheter tous les contrats, laisser les autres contrats se terminer en été et soumettre tout ce qui reste au ballottage, pour n’avoir que des jeunes de 18-24 ans – certains ne veulent que ça aujourd’hui!
- Faire exprès pour finir dans les derniers pour espérer repêcher haut (tanking), quoique l’équipe a obtenu le choix no 3 lors des assises de 2018, afin de repêcher un dénommé Kotkaniemi
Ainsi, il a congédié du club-école (Rocket de Laval) l’entraîneur-chef Sylvain Lefebvre pour le remplacer par Joël Bouchard (de l’Armada de Blainville-Boisbriand), laissé aller deux des trois assistants de Claude Julien Daniel Lacroix et Jean-Jacques Daigneault, pour les remplacer par Dominique Ducharme (qui comptait alors 10 ans d’expérience dans la LHJMQ et plusieurs titres et trophées) et Luke Richardson (qui avait acquis de l’expérience au junior majeur ontarien et dans la Ligue américaine), échangé le capitaine Max Pacioretty durant la nuit précédant le tournoi de golf de l’équipe en retour du jeune espoir Nick Suzuki et de Tomas Tatar, promu Shea Weber comme capitaine et repêché abondamment lors des assises de 2018, 2019, 2020 et 2021. Et à partir de ce moment, il a orienté plusieurs transactions de façon à inclure des choix de repêchage en plus d’athlètes prêts à jouer.
Ce qui a donné par exemple, lors de l’échange de Pacioretty, l’arrivée d’un espoir en Nick Suzuki qui s’est intégré à l’équipe uniquement après le camp de 2019, et celle de Tomas Tatar, qui lui était… prêt à jouer!
Voici les choix de repêchage en 2018 (Source : Wikipédia pour les 4 tableaux, en passant) :
No | Tour | Nom | Nationalité | Position |
3 | 1er | Jesperi Kotkaniemi | Finlande | Centre |
35 | 2e | Jesse Ylönen | Finlande | Ailier droit |
38 | 2e | Aleksandr Romanov | Russie | Défenseur |
56 | 2e | Jacob Olofsson | Suède | Centre |
66 | 3e | Cameron Ellis | Canada | Centre |
71 | 3e | Jordan Harris | États-Unis | Défenseur |
97 | 4e | Allan McShane | Canada | Centre |
123 | 4e | Jack Gorniak | États-Unis | Ailier gauche |
128 | 5e | Cole Fonstad | Canada | Centre |
133 | 5e | Samuel Houde | Canada | Centre |
190 | 7e | Brett Stapley | Canada | Centre |
Ceux de 2019 :
No | Tour | Nom | Nationalité | Position |
15 | 1er | Cole Caufield | États-Unis | Ailier droit |
46 | 2e | Jayden Struble | États-Unis | Défenseur |
64 | 3e | Mattias Norlinder | Suède | Défenseur |
77 | 3e | Gianni Fairbrother | Canada | Défenseur |
126 | 5e | Jacob Leguerrier | Canada | Défenseur |
131 | 5e | Rhett Pitlick | Canada | Ailier gauche |
138 | 5e | Frederik Nissen Dichow | Danemark | Gardien de but |
170 | 6e | Arsen Khisamutdinov | Russie | Centre |
201 | 7e | Rafaël Harvey-Pinard | Canada | Ailier gauche |
206 | 7e | Kieran Ruscheinski | Canada | Défenseur |
La liste de 2020 (repêchage virtuel) :
No | Tour | Nom | Nationalité | Position |
16 | 1er | Kaiden Guhle | Canada | Défenseur |
47 | 2e | Luke Tuch | États-Unis | Ailier gauche |
48 | 2e | Jan Myšák | République tchèque | Centre |
102 | 4e | Jack Smith | États-Unis | Centre |
109 | 4e | Blake Biondi | États-Unis | Centre |
124 | 4e | Sean Farrell | États-Unis | Centre |
136 | 5e | Jakub Dobeš | République tchèque | Gardien de but |
171 | 6e | Aleksandr Gordine | Russie | Ailier droit |
Et pour finir, 2021 (dernier repêchage virtuel)… il n’y avait pas que Logan Mailloux!
No | Tour | Nom | Nationalité | Position |
31 | 1er | Logan Mailloux | Canada | Défenseur |
63 | 2e | Riley Kidney | Canada | Centre |
64 | 2e | Oliver Kapanen | Finlande | Centre |
87 | 3e | Dmitri Kostenko | Russie | Défenseur |
113 | 4e | William Trudeau | Canada | Défenseur |
142 | 5e | Daniil Sobolev | Russie | Défenseur |
150 | 5e | Joshua Roy | Canada | Ailier droit |
191 | 6e | Xavier Simoneau | Canada | Centre |
214 | 7e | Joe Vrbetic | Canada | Gardien de but |
Tout ceci fait en sorte que Jeff Gorton et Kent Hughes, appelés à succéder à Marc Bergevin, ont hérité d’une sacrée banque d’espoirs! Assez, même, pour en échanger quelques-uns sans douleur.
Mais enfin, c’est quoi une reconstruction?
C’est difficile à définir, mais une chose est certaine : la plupart du temps, une équipe de la Ligue nationale de hockey se lance dans une reconstruction après avoir vidé sa banque d’espoirs et sacrifié la plupart de ses choix de repêchage, principalement pour se rendre le plus loin possible en séries éliminatoires pendant quelques années… coûte que coûte!
C’est pour cela que depuis quelques années, les équipes qui s’affrontent en finale de la Coupe Stanley alignent des vétérans acquis en saison ou à la date limite (et dont le contrat achève) ainsi que des joueurs autonomes acquis souvent au prix fort à partir du 1er juillet. Des équipes qui alignent des joueurs expérimentés et peu de jeunes, donc pas bâties par le repêchage contrairement à d’autres qui marinent dans les bas-fonds et repêchent dans les premiers à chaque été…
Et c’est pour cela que le processus est très long, s’étalant sur plusieurs années, et surtout plus compliqué avec un plafond salarial. Sans parler des blessures qui minent l’équipe, après le grand bal printanier, causant parfois des départs imprévus ou des congés de maladie très longs. Lorsqu’on est rendu à reconstruire, c’est qu’on n’a pas vraiment le choix…
Et pour finir, ce n’est plus rare de voir une équipe championne ou finaliste perdre plusieurs troupiers comme joueurs autonomes sans compensation… Et sans doute pour ces raisons, il arrive désormais qu’une équipe finaliste ou championne rate carrément les séries l’année suivante! Les Canadiens ne sont donc pas les premiers à avoir connu cette mésaventure…
Mais qu’est-ce qui se passe avec les Canadiens?
Pour qu’on parle de reconstruction, ou plus précisément de l’an 3 d’un quelconque processus, il aurait fallu que le duo Gorton-Hughes hérite d’une équipe privée de la plupart de ses choix aux repêchages suivant son embauche (2022 et suivantes) et ne disposant que de peu d’espoirs qui se développent dans leur ligue respective, en Amérique du Nord ou en Europe.
…mais non! Les deux hommes ont hérité d’une banque d’espoirs inouïe :
- Jordan Harris
- Jayden Struble
- Rafaël Harvey-Pinard
- Kaiden Guhle
- Luke Tuch
- Jakub Dobes
- Sean Farrell
- Logan Mailloux
- Oliver Kapanen
- Joshua Roy, pour ne nommer que ceux-là!
Alors, la première année c’est quand, 2018 ou 2022? Ça ressemble pas mal à 2018 juste à voir le bassin aussi rempli!
Était-il nécessaire de reconstruire? Je veux dire, de repartir à zéro? Non, absolument pas! Tout au plus, l’équipe n’a qu’à corriger les lacunes… à boucher les trous, quoi! Bref… c’est du patchage.
C’est pour cela que je refuse de boire le Kool-Aid – qui a de moins en moins bon goût en passant – de l’année 3 de la reconstruction, et de la nécessité (selon trop de partisans et de commentateurs) pour l’équipe de connaître encore deux années de misère dans les bas-fonds en se basant sur le passé. C’est trop loin de la réalité, comme si on avait décidé de tout effacer le travail de Marc Bergevin. Ce n’est pas du tout ce qu’ont choisi de faire Kent Hughes et Jeff Gorton, nonobstant le nom « Reconstruction » donné au documentaire présentement disponible sur CRAVE.
C’est à se demander si ce mot n’est pas un concept de marketing… Matière à réflexion.
Si les fans ont tout fait pour oublier Bergevin, le nouveau tandem, lui, ne l’a pas fait, et considère que la base est solide. Donc, Jeff Gorton et Kent Hughes ont choisi de poursuivre le travail, mais à leur manière. Si d’une part Marc Bergevin a pris soin de ne pas laisser de trous lorsqu’il échangeait un joueur, d’autre part force est d’admettre que M. Hughes se fiche éperdument de priver les Canadiens de joueurs importants à court terme, par exemple lorsqu’il a échangé le centre Sean Monahan aux Jets de Winnipeg en février 2024 en retour de… deux choix de repêchage! Eh non, pas de jeune joueur prometteur que les Jets étaient prêts à laisser ou de vétéran qui pourrait rendre service une saison ou deux, juste deux choix de repêchage! Et pis encore : la transaction a eu lieu en février et non à la date limite des échanges!
Mais au moins, la banque d’espoirs n’a pas été touchée directement. Ce qui fait en sorte qu’il s’est écoulé non pas deux années, mais bien six, depuis que Marc Bergevin a commencé à remplir les banques de choix et d’espoirs. Et nous commençons l’an 7 et non l’an 3.
Et parce que l’an 7 vient de débuter, je trouve déplorable qu’on me sorte une litanie d’excuses pour justifier la non-atteinte des objectifs fixés pourtant cet automne au tournoi de golf de l’équipe : jouer des matchs significatifs encore dans le temps de Pâques, et se battre pour les séries. C’est ce que signifie l’expression être dans le mix…
Ainsi, dire que c’est une reconstruction et que nous devons être patients sonne faux en raison de la situation actuelle des Canadiens de Montréal, qui ont une belle relève qui se développe au Rocket de Laval et dans diverses ligues en Amérique du Nord et en Europe. Et ce n’est pas étonnant que plusieurs commencent à réclamer des résultats.
…mais on est à l’Armistice et l’équipe est déjà éliminée? Ce sont des problèmes d’un tout autre ordre, que l’équipe se doit de corriger dès que possible. On n’en est plus à reconstruire, mais à régler les problèmes : devant le filet (même duo qu’en 2021-2022, et pas une bonne moyenne de buts alloués), manque d’efforts (seul Brendan Gallagher se présente ces jours-ci, on dirait), aucune culture (et pourtant c’est le mandat de Martin St-Louis, d’en bâtir une et une gagnante!), et système défensif à corriger (le un pour un ne fonctionne pas!). J’ajouterais un gros problème derrière le banc aussi, mais c’est un autre dossier.
Et je vous assure qu’avec cette banque de jeunes, la direction a de la marge de manœuvre rien qu’en masse.
Oui, mais la Finale de 2021?!
Oui, vous allez me dire que Shea Weber s’est blessé gravement au point de ne plus être capable de jouer… Oui, vous allez me dire que Carey Price a le genou fini et qu’il ne reviendra plus devant le filet… Oui, vous allez me dire que Paul Byron est fini, que Joel Edmundson a été miné depuis par des maux de dos, que Corey Perry est parti, Phillip Danault aussi… Mais au-delà de ces départs, le processus de réinitialisation débuté en 2018 n’a jamais été affecté directement. Aucun espoir n’a été sacrifié ni échangé dans le processus.
C’est au point où je me demande ce qui se serait passé si Geoff Molson n’avait pas congédié Marc Bergevin dans les semaines suivant l’affaire Brad Aldrich… Il aurait probablement fini par acquérir un autre gardien de but pour compenser l’absence de Carey Price, et bouché les autres trous pour espérer une meilleure année 2022-2023. Mais nous ne le saurons jamais. Chose certaine, le parcours éliminatoire de 2021 n’a aucunement mis en péril la relève contrairement à ce que beaucoup (trop!) de gens pensent aujourd’hui. Il n’y a donc aucunement matière à tout recommencer du début contrairement aux Predators de Nashville, qui ont comme les Canadiens un début de saison misérable et qui ne sont pas en aussi bonne posture.
C’est pour cela que je refuse de parler de l’an 3, mais bien de l’an 7.
Cela étant dit, je désire rappeler que pour les légendes des Canadiens, qui ont assisté en personne à une déplorable dégelée de l’équipe le 22 octobre dernier contre les Rangers de New York… nous sommes à l’an 32.
En terminant : tu as bien dit un parcours éliminatoire… sans sacrifier l’avenir?
Oui! Surprenant, non? Et avec du recul, je ne comprends pas que personne n’a encore souligné le génie de Marc Bergevin! Le seul sacrifice qu’il ait fait pour cette finale est deux choix de 3e et de 5e tours en 2021 pour obtenir Eric Staal. La banque de repêchage pour 2021 était encore plus qu’acceptable malgré cette transaction – un choix de 1er tour, 2 choix de 2e tour, un choix restant de 3e tour, un choix de 4e tour, deux choix de 5e tour, ainsi que les choix des deux tours restants – et la banque d’espoirs acquis précédemment dans les derniers repêchages d’entrée est restée intacte!
En revanche, le 26 février 2023, le directeur général du Lightning de Tampa Bay, Julien BriseBois, a échangé Cal Foote aux Predators de Nashville ainsi qu’un choix de premier tour en 2025 (protégé top 10), un choix de deuxième tour en 2024 et des choix des 3e, 4e et 5e tours en 2023 pour obtenir l’attaquant Tanner Jeannot. Il a carrément vidé sa banque de choix de repêchage pour un vétéran qui… n’a pas terminé la ronde 1 contre les Maple Leafs de Toronto. Tout le contraire de ce qu’a fait Marc Bergevin, quoi! Et c’est son vis-à-vis Barry Trotz qui profite de cette banque de choix, qui lui sera certainement plus qu’utile puisqu’il vient de parler d’une possible… reconstruction!
Et souvenez-vous de ce qui s’est passé durant le 1er tour éliminatoire en 2023 : les Maple Leafs ont gagné contre le Lightning et ont accédé à la 2e ronde, pour la première fois depuis 2004!
Alors, lequel des deux directeurs a besoin d’entreprendre une reconstruction, d’après vous?